"Il n' y a qu'une seule supériorité: celle du coeur !"

L.V. Beethoven

AVERTISSEMENT 


Ce texte, écrit en septembre 1986, témoigne des questionnements échangés entre Tomkiewicz et Finder autour de la “pédagogie curative”. Il n’est qu’un fragment d’une correspondance dont le lecteur doit prendre en compte le contexte (difficulté de recrutement d’éducateurs au foyer etc.), précisions qui devraient être données ultérieurement.


Le CFDJ, l’un des tout premiers foyers de semi-liberté, a été créé en 1950, sous l’impulsion directe de leur créateur, le juge des enfants, Mr CHAZAL. Cette expérience de prise en charge des adolescents difficiles se poursuit depuis lors presque sans interruption, à Vitry jusqu’en 1983, au Plessis-Trévise depuis juillet 1984.

De l’expérience accumulée en 36 ans, par Joe Finder, le directeur et les éducateurs du CFDJ, de nombreux écrits et films ont été tirés qui décrivent fort bien la plupart des aspects du travail accompli au Foyer.

Une recherche effectuée en 1969 par le Dr Zeiller (Inserm U 69), a permis d’évaluer les méthodes en étudiant le devenir de 150 jeunes passés par le foyer de 1950 à 1966.


Il reste toutefois à expliquer comment s’articulent entre eux avec cohérence les différents aspects des méthodes mises en œuvre avec les adolescents, notamment l’approche sociothérapeuthique et les activités culturelles et à montrer la place dans cet ensemble, et les modalités précises des psychothérapies duelles. Il est temps en effet de se poser la question de la transmissibilité d’une philosophie et de méthodes longuement élaborées par Joe Finder, avec les éducateurs et les médecins du CFDJ, dans ce domaine si difficile des troubles de l’adolescence, où parents et professionnels sont bien mal armés. Cette expérience est-elle transmissible ? ou plus précisément , que pourrait-on en retenir pour enrichir la formation des éducateurs ?


La pédagogie ne suffit pas …

Ces adolescents ont presque toujours vécu une enfance dramatique qui les a marqués profondément. Il est clair que les méthodes qui comptent surtout sur la coercition pour « marquer les limites », courent le risque de les confirmer dans la double conviction qu’ils sont eux-mêmes « mauvais » et que le monde extérieur (les adultes) est « méchant », et de le renforcer leurs conduites hétéro- ou auto-agressives : la coercition, ils connaissent, et savent s’y « adapter », un des aspects de cette adaptation étant justement l’ agressivité

Le laisser-faire à l’inverse, est interprété comme de l’indifférence par les jeunes, et les laisse avec leurs pulsions face à face avec la terrifiante liberté : il ne leur reste plus alors, qu’à tester, à leur manière, l’existence de limites.

Il faut donc tout tenter pour favoriser l’amorçage de quelque chose de l’ordre de la prise de conscience, c’est à dire une démarche à visée psychothérapeutique.

Mais ceci ne suppose-t-il pas le problème résolu ? Existe-t-il un dispositif, une méthode susceptible d’amener ces adolescents à faire cette chose saugrenue : parler d’eux-mêmes ?... eux qui sont, parfois à juste de titre, méfiants vis à vis des adultes, et à qui presque toujours, le milieu familial et l’école n’ont pas réussi à donner l’outillage verbal qui leur permettrait de mettre en mots leur vécu psychique ; eux enfin qui sont tellement tourmentés par la tempête pulsionnelle de leur âge que cinq minutes d’immobilité ou de silence leur sont insupportables.


… La psychothérapie non plus

Il semble que chez les adolescents en tout cas, la « résolution, s’il était permis de parler ainsides conflits intra-psychiques, ne garantit pas à elle seule un changement favorable : la longue inscription de symptômes ou d’habitudes auto- ou hétéro-agressives peut se maintenir tant que quelque chose d’autre n’en occupe pas la place.

« Pédagogie curative »

Joe a du donc dégager, après de laborieuses recherches bibliographiques, adaptations et tâtonnements, toute une panoplie de moyens, tout en maintenant l’indispensable cohérence.

Transfert et séduction.

Dès le premier entretien, s’il décide qu’il peut prendre en charge le jeune qui se présente, Joe sait qu’il doit le séduire ; et ceci malgré le handicap que constitue à ses yeux son statut directorial et de représentant de la Société et de ses interventions répressives.

Il s’agit souvent d’une course contre la montre : la plupart de ces jeunes ont derrière eux tout un passé de rejets scolaires, de renvois d’institutions diverses, ils sont connus dans les commissariats de police, ont fréquenté le « dépôt », etc. Il faut à tout prix leur épargner un échec de plus, même s’ils font tout pour le provoquer. Cette bataille peut se gagner ou se perdre dès les premiers jours suivant l’arrivée d’un jeune.

D’autre part le CFDJ est un foyer ouvert : le jeune y vient sur une base volontaire, et doit adhérer dès son arrivée à la constitution démocratique de la  maison. La seule sanction qu’il encourt formellement est l’exclusion, qui l’expédierait dans une autre institution : la punition, c’est une éventuelle privation d’amour.

Mais du côté du thérapeute, il en va de même : il se met en position d’être séduit.

Il n’est pas concevable de faire un travail pédagogique et psychothérapeutique avec des jeunes sans engagement affectif. Bien sûr, il est des jeunes qu’il est facile d’aimer : ils sont naturellement beaux, intelligents, vivants, et rien n’est plus facile que de se laisser prendre. Mais les autres ? Certains ne suscitent pas dès l’abord la sympathie ou ne font rien pour cela, bien au contraire. Dans ce cas, il va falloir choisir dès le premier entretien : renoncer à le prendre en charge, ou aller à la pêche aux motivations « qu’est-ce que je pourrais bien aimer chez ce gosse ».

De toutes les façons, il s’agit mobiliser et canaliser des pulsions de volonté de puissance, curiosité, pulsions homo- ou hétéro-sexuelles, un peu comme un chirurgien travaille, pour la bonne cause, en sublimant son sadisme ; comment pourrait-on autrement être chirurgien ?


Il va de soi que ce rapport de séduction mutuelle sans lequel rien de thérapeutique, n’est imaginable qu’à la condition que le jeune ait accordé toute sa confiance, c’est à dire qu’il ait acquis la certitude :

  • qu’il ne sera pas abandonné à la légère,
  • qu’il ne sera jamais trahi auprès de ses parents ou des autorités,
  • qu’il ne sera jamais l’objet de geste sexuel, même (et surtout) si c’est lui-même qu’il semblait le demander.
  • Dans le cas de l’éducateur-psychothérapeute, travaillant avec des adolescents, ceci suppose, outre une grande rigueur, et des servitudes considérables dans la procédure de prise en charge :
  • une bonne connaissance ( et acceptation) de soi-même,
  • une intensité suffisante des pulsions mobilisables,
  • un sur-moi suffisamment solide pour ne pas redouter de passer à l’acte, quoi qu’il arrive,
  • un seuil de tolérance à la frustration suffisamment élevé pour vivre un amour « oblatif »
  • une disponibilité enfin, peu compatible avec la notion d’horaire et en général, car le besoin qui se révèle dans et par la prise en charge, est pratiquement sans limites.

Peut-on concevoir une procédure de sélection de candidats éducateurs-psychothérapeutes ayant à la base des qualités aussi exceptionnelles, et des méthodes pédagogiques adaptées pour développer ces qualités au cours du cycle de formation ?

Jusqu’à présent, personne d’autre que Joe n’a été en mesure de prendre en charge des jeunes en psychothérapie duelle au CFDJ ; souvent des éducateurs en ont fait la demande, essuyant un refus de la part de Joe ; il semble surtout que son charisme n’ait pas permis à des vocations de se déterminer.


Personnalité et charisme

La prise en charge psychothérapeutique des adolescents, telle que la pratique Joe, implique en effet un dévouement tellement total, qu’il ne peut pas ne pas venir à l’esprit qu’il s’agit d’une utopie, et qu’aucune relève n’est possible ; ou alors que la « transmissibilité » supposerait la recherche et la formation « d’autres Joe », doués de la même passion, au point de se co sacrer aux adolescents, presque 24 heures sur 24, au mépris des droits des travailleurs sociaux les plus reconnus (congés, durée de travail, etc.). On comprend que la relève puisse poser des problèmes ; on comprend aussi que l’institution connaisse une forte rotation de personnel et parfois des conflits d’équipe.



ARTICLES / PRESSE