C. Martin, S. Tomkiewicz, J. Finder
Le Centre Familial de Jeunes de Vitry accueille des adolescents de treize à vingt ans (âge moyen: seize ans), de bon niveau intellectuel (Q.I. au moins égal à cent), gravement inadaptés. Ils relèvent de l'Education Surveillée (Ordonnance de février 1945), du Juge des Enfants (articles 375-382 du Code Civil éd. 1958 sur l'Assistance Educative) et de la Prévention (loi de 1959 sur l'Enfance en Danger Moral).
Le régime de semi-liberté leur offre le contact avec le monde extérieur grâce à la scolarité, l'apprentissage ou le travail professionnel, tandis qu'ils vivent au Foyer encadrés d'une équipe spécialisée.
Le Foyer assure leur réinsertion sociale grâce à la psychothérapie et la sociothérapie, fondée sur de multiples activités dont le dessin.
Depuis deux ans, notre équipe a été amenée à approfondir le problème de l'activité graphique chez ces adolescents. Ce travail représente les premières réflexions du groupe éducatif. D'autres se poursuivent actuellement, portant sur l'étude de groupes de référence (adolescents normaux, adolescents inadaptés plus jeunes, etc ...) et sur l'examen longitudinal des cas à travers la production graphique. Le travail présent complète le film : "Dessins d'adolescents en difficulté" réalisé par deux d'entre nous, en collaboration avec le réalisateur Pierre Simon (prod. Sandoz), qui en fournit l'illustration vivante indispensable.
On ne peut entreprendre de parler du "dessin" sans avoir l'impression que tout a été dit, écrit, sur le sujet. Mais à y regarder de plus près, nous n'avons guère trouvé d'éléments se rapportant peu ou prou à nos préoccupations : l'adolescent, et spécialement l'adolescent en difficulté face au dessin. La raison immédiate de cette lacune peut se résumer à une constatation: spontanément, en effet, l'adolescent qui n'a pas de don spécial, ne dessine pas ou très peu; son activité graphique se limite, en général, aux « graffitti» crayonnés sur les pages de cahier, les murs, etc...
Ce tarissement de la production graphique à la fin de l'enfance nous semble avoir plusieurs ordres de causes :
• des causes d'ordre intellectuel:
L'adolescent croit disposer en général de moyens expressifs suffisamment variés et, en particulier, bien entendu, la verbalisation, pour que le besoin ne se fasse pas sentir de recourir à un mode d'expression ou de narration considéré comme plus archaïque. En ce qui concerne les adolescents délinquants ou pré-délinquants en outre, l'expression passe électivement par le "passage à l'acte", et tout le problème semble justement de parvenir indirectement à une forme d'expression plus contrôlée, verbale ou extra verbale.
• des causes d'ordre socio-éducatif et pédagogique: .
Devant la généralité du tarissement graphique à la pré-adolescence, nous nous sommes demandés si le problème ne dépassait pas le cadre individuel. Il existe en effet, nous semble-t-il un stéréotype éducatif concernant le dessin : à l'école et plus encore au lycée alors que les programmes scolaires sont de plus en plus chargés - le dessin, déjà négligé dans l'éducation, se voit éliminé peu à peu de l'enseignement. Non seulement, le dessin d'expression est pratiquement ignoré, voire même difficilement accepté, mais l'activité elle~même n'est pas valorisée. Considérée souvent en tant qu'activité facultative, elle devient soit la corvée qu'il faut bacler, soit le « temps mort », la récréation; facultatif devient synonyme d'inutile, d'autant que la carrière scolaire de l'enfant ne se ressentira guère de ses mauvais résultats en dessin. Les thèmes proposés ("natures mortes" souvent ... ) s'ils sont nécessaires pour l'apprentissage de la technique, représentent souvent la solution de facilité aussi bien pour l'enseignant que pour l'enseigné. L'enfant « doué» obtient avec ennui des notes brillantes et l'enfant réputé malhabile se dégoûte du dessin et se résigne à « ne pas savoir dessiner », alors qu'en dehors de toute considération de technique il aurait pu trouver dans le dessin un moyen d'expression, de communication.
Cette relégation de l'activité au dernier rang de la scolarité, la façon dont elle est souvent conçue, contribuent certainement très tôt à briser l'élan graphique de l'enfant. L'attitude des parents vient renforcer cet effet, leurs ambitions quant à l'avenir de leurs enfants incluant rarement le dessin.
Stéréotype purement social également; la scission amorcée entre les sciences et les arts, s'est peu à peu résumée en une distinction abusive entre l'utile et l'inutile. Deux exemples suffisent à démontrer, l'erreur de base de ce stéréotype : le succès des Maisons de la culture qui viennent combler un besoin, et la joie des adolescents, qui, dans une ambiance de tolérance et d'encouragement, redécouvrent l'expression graphique.
Si donc, pour diverses raisons, le dessin ne semble pas être une activité spontanée des adolescents, il subsiste deux questions : Pourquoi les faire dessiner ? Comment les faire dessiner ?
Pourquoi ?
Nous n'aborderons ici le problème que sous l'angle de l'adolescent inadapté, notre seule base de référence pour le moment.
- Le but du Foyer de semi-liberté étant d'éviter les passages à l'acte délictueux et de favoriser une insertion sociale aussi heureuse que possible, toute activité qui facilite la socialisation (activité de groupe) et le contrôle de l'expression sous quelque forme que ce soit, ne peut avoir a priori de conséquences néfastes. Le dessin fait donc partie des nombreuses activiés du Foyer comme par exemple la photographie, le cinéma, le jeu de groupe socio-dramatique; ces activités ne sont jamais imposées mais suggerées et se déroulent. dans une atmosphère d'acceptation et de valorisation que nous aurons à préciser plus loin. Il ne s'agit cependant pas ici de favoriser à tout prix la « spontanéité» ; c'est bien plutôt en effet son excès, dans le cadre de la délinquance, qui pose un problème. Il nous semble même, sur un plan plus général, que le terme de « spontanéité» tel qu'il est souvent employé, recouvre une sorte de mythe rousseau-iste, concernant une qualité a priori bonne, que l'on ne saurait trop encourager et trop souvent confondue avec l'expression anarchique des affects. C'est là une pétition de principe, qui, si elle se révèle utile lorsque cette spontanéité incontrôlée surgit au cours d'une psychothérapie individuelle, n'est plus forcément valable en dehors de ce cadre précis; elle ne saurait en tous cas être envisagée d'une manière permanente en rééducation. Elle peut dans certaines conditions devenir, en outre, source d'angoisse. Dans la mesure donc, où il s'agit pour nous de rééduquer pour qu'une meilleure connaissance et une meilleure acceptation de soi conduisent à un meilleur contrôle de soi, dans des conditions non anxiogènes, des adolescents en groupe, l'ambiance dans laquelle se déroule, entre autres, l'activité graphique, ne peut qu'exclure à la fois la contrainte et l'anarchie. Il était indispensable d'insistér sur le problème de la «liberté» car il est indiscutablement lié avec la question de l'influence de l'action éducative des adultes surIes productions graphiques. Cette influence est certaine, mais il n'existe pas d'exptession - graphique ou autre - qui ne soit orientée par l'ambiance dans laquelle elle se déroule. Il s'agit simplement d'en tenir compte au stade de l'interprétation et nous ne pensons pas qu'elle entrave en quoi que ce soit la spontanéïité individuelle et la valeur du dessin.
- Autre raison de favoriser l'activité graphique : l'obtention de renseignements diagnostiques. Il ne s'agit nuUement, bien entendu, d'établir l'ensemble du diagnostic à partir des seuls dessins, ni même de les «demander» à l'adolescent dans ce but. Il est non moins évident que, comme tout matériel fourni par un sujet, le dessin nous apporte des indices supplémentaires, un appoint à la clinique et à l'observation. C'est par exemple, le cas pour les sujets « border-line» chez lesquels les tendances asociales ne sont qU'un mince aspect de troubles plus précoces et plus profonds. La production graphique vient ici étayer la clinique, dans un sens ou dans l'autre. Dans d'autres cas, le dessin peut permettre de constater la présence ou l'apparition de traits obsessionnels, qui s'y reflètent particulièrement bien semble-t-il. Dans un domaine plus circonscrit, celui de l'agressivité, disons que, sans exception, elle apparaît toujours dans les dessins; on pourrait donc en suivre l'évolution, l'intensité, l'objet, à travers les dessins fournis. Il s'agit déjà là d'une agressivité « canalisée» puisque représentée et non agie, donc d'un premier pas vers une distanciation par rapport aux pulsions agressives.
Enfin, les dessins peuvent renseigner sur le vécu quotidien de l'adolescent et sur les fluctuations et ses relations avec les adultes significatifs. Ils contribuent ainsi à illustrer l'évolution de son adaptation. Ceci demeure néanmoins une hypothèse à vérifier de façon précise, car ce n'est parfois qu'à posteriori qu'un recoupement exact est possible.
- Troisième raison d'encourager l'activité graphique: la fonction« psychothérapique» du dessin. Nous ne pensons pas ici à des entretiens individuels totalement bâtis autour du dessin lui-même et de son contenu. Il n'entre nullement en effet, dans le cadre de la rééducation de pratiquer une sorte de «psychanalyse sauvage», ni même de faire des interprétations, dont les effets secondaires seraient plus pernicieux que ne seraient bienfaisants les effets immédiats,et qui ne satisferaient sans doute que celui qui les fait. Il s'agit seulement d'utiliser le dessin de l'adolescent, comme amorce d'un entretien, afin d'obtenir une ouverture sur la verballsation et sans rapport souvent avec le contenu même .du dessin. Et cela, malgré la demande des adolescents eux-mêmes, qui réclament très fréquemment qu'on leur « explique» leur dessin. Les réponses fournies, aussi évasives et réassurantes que possible ne correspondent pas à notre interprétation du dessin, mais à ce que nous croyons être l'intérêt du jeune; sinon, les résistances que nous décrivions plus haut, risquent de se transformer en opposition ouverte, non seulement à l'activité graphique ellemême, mais à toutes les formes d'expression, qui sont vues alors comme dangereuses car révélatrices d'intentions secrètes; l'adolescent a alors le sentiment pénible d'être jugé ou d'être tombé dans un piège et fera tout pour ne pas y retomber. Bien entendu, cette non explicitation des contenus du dessin en tant que tels à l'adolescent lui-même ne nous interdit nullement de chercher à comprendre ce que représente en fait la demande d'interprétation elle-même, ce que représente le dessin. Il n'est pas nécessaire de rendre explicite ni le message, ni l'intuition qu'en a l'adulte et d'ailleurs l'adolescent ne s'y plierait pas. Mais il s'attend à ce que l'adulte réagisse en conséquence et c'est cette communication infra- ou para-verbale qui semble la plus importante.
Mentionnons enfin la fonction cathartique du dessin d'expression, sur laquelle nous ne pensons pas devoir insister, tant elle est bien connue.
Comment les faire dessiner ?
Là encore, nous n'envisagerons que le mode d'utilisation du dessin au Foyer de Vitry. Cependant, les conditions préalables que nous allons évoquer nous semblent pouvoir s'appliquer également·à tous les adolescents.
D'une façon générale, étant donné les résistances conscientes et inconscientes dont nous avons remarqué la présence, la situation devrait obéir au moins aux trois conditions suivantes:
• Situation non scolaire, évitant toute caractéristique pédagogique, sans c.ontrainte quant aux techniques, sans référence à des normes artistiques. (Des tentatives pour organiser des « cours» de dessin au Foyer se sont soldées par des échecs; seuls, les plus doués persévéraient).
• Situation de régression; ces régression doit être organisée, « officielle », afin de déculpabiliser la régression réelle ou ressentie, que représente pour un adolescent le fait de dessine:..
• Enfin, acceptation totale de la part des adultes à la fois de cette régression, des réactions agressives secondaires et des caractéristiques du matériel produit. Cette acceptation qui va de soi quant au principe, n'est pas pour autant aisée quant à l'application dans la vie quotidienne.
Il s'agit au départ, avant tout autre but, d'obtenir un réinvestissement de l'activité graphique. Il faut donc éliminer ou contourner les résistances, réassurer, supprimer tout aspect de corvée, d'obligation, éviter toute référence à un modèle.
En ce qui concerne l'organisation de l'activité de dessin au Foyer même, décrivons rapidement pour commencer, la façon dont elle se déroule:
Le dessin est une des activités d'expression de la Maison. Il s'agit, le plus souvent d'une activité de groupe. Une« soirée de dessin» est annoncée à l'avance par les procédés socio-éducatifs habituels dans notre Foyer, dont l'affichage, sous forme d'un Concours, avec thème proposé (un ou plusieurs). N'y participent que les volontaires. Le soir du concours les participants se réunissent, on distribue boissons, cigarettes et bonbons. Puis, le calme étant établi, on distribue papier à dessin, papier de brouillon et crayons feutres. Chacun fait un ou plusieurs dessins selon l'inspiration et les remet ensuite. Le lendemain, les résultats du concours sont affichés (le jury est formé de tous les éducateurs présents), avec récompenses peu élevées, (en argent, en cigarettes, etc ... ).
Reprenons maintenant sous une forme plus systématique les caractéristiques de cette activité :
A. Ambiance de valorisation :
- valorisation de l'activité elle-même, dont les mérites sont soulignés explicitement. On place le dessin sur un pied d'égalité avec les autres activités (cinéma, photo, mime, etc ... ) Il est présenté de façon sérieuse, par des adultes qui se montrent engagés, participants et intéressés.
- valorisation de la maison et de son ambiance. Toute activité dans le Foyer est ainsi «vantée» et ici interviennent les «récompenses» que nous allons envisager plus loin.
- Enfin, valorisation de l'adolescent luimême, dont les prOductions sont toujours considérées avec intérêt, quel qu'en soit le style ou simplement l'adresse technique. La distinction est explicitement faite entre qualités expressives et qualités instrumentales. La situation non scolaire doit en effet, avoir pour corollaire l'impossibilité de l'échec sur le plan de la «performance».
Le problème s'est posé de savoir si ces méthodes ne provoquent pas une survalorisation narcissique des adolescents. Il ne nous semble pas cependant que cela apparaisse plus dans le dessin que dans les autres activités ou comportements de l'adolescent, un certain narcissisme à cet âge étant normal et partant souhaitable... Par ailleurs, cette valorisation au Foyer ne nous a pas semblé nocive ni a priori, ni a posteriori. En effet, dans la mesure où le dessin à Vitry représente non seulement une activité d'expression, mais aussi l'occasion d'une reprise du dialogue, sa valorisation même« narcissique» ne peut être qu'utile.
Par ailleurs, les adolescents inadaptés ont particulièrement besoin de se sentir valorisés, besoin qu'on leur offre la possibilité de se construire une image de soi «gratifiante». Leurs parents ne leur en ont que rarement laissé l'occasion; et il importe donc, avant d'envisager toute réadaptation, de favoriser cette acceptation de soi, qui permet seulement ensuite de s'accepter face aux autres et d'accepter les autres.
B. Le rôle des récompenses :
Elles sont de deux sortes: matérielles (prix après le concours) et «orales» (distribution de bonbons, boissons et cigarettes avant le dessin, et pendant éventuellement).
• Les gratifications orales:
Elles ont pour but immédiat de créer une ambiance détendue et non contraignante. Comme but second de compenser l'anxiété qui nait obligatoirement devant le fait d'avoir à s'e.xprimer, et d'avoir à combler l'attente des adultes. Elles correspondent également à la régression consécutive à l'anxiété et permetterit ensuite d'aborder calmement le dessin. Il est d'ailleurs à noter que les manifestations de prestance, d'excitation ou d'agressivité, qui surgissent en début de réunion, cessent après cet intermède et il est rare qu'au cours de l'activité elle-même les garçons demandent les gratifications orales.
• Les prix : ils correspondent au principe que «tout travail mérite salaire». Officiellement, on ne «donne» jamais rien au Foyer. Les vêtements sont gagnés, l'argent de poche des jeunes scolaires est un «salaire» qui rétablit l'égalité par rapport aux travailleurs, etc ... Le système des récompenses, de la même façon, est fondé sur ce principe de la «redistribution»; c'est une compensation à l'effort fourni, à la bonne volonté.
C'est également pour ces raisons que les prix sont attribués, non en égard aux qualités intrinsèques du dessin, mais selon les nécessités de l'enfant, son état affectif du moment, ou sa réussite dans d'autres activités, par exemple. On ne «donne» jamais rien à l'adolescent, pour qu'il ne« doive» jamais rien. Son amour-propre est ainSi respecté et il ressent le moins pOSSible sa situation de dépendance.
En outre, il est bien év,ident que ces divers types de récompenses sont parfaitement symboliques, la seule gratification réelle et recherchée étant l'obtention de la sympathie, de l'estime, voire de l'amour de l'éducateur. Mais ceci est, et doit demeurer implicite. Il s'agit de favoriser cet échange affectif en respectant au maximum les réactions de prestance (ou d'amour propre) de l'adolescent, en lui permettant de « sauver la face» dans le groupe, par exemple en se vantant de ne venir dessiner « que pour les cigarettes», qu'il refusera d'ailleurs souvent comme nous l'avons vu. Or, apparemment, rien n'oblige ce garçon à venir dessiner, et il pourrait aussi bien se procurer ces cigarettes d'une autre façon, ne serait-ce qu'en les volant.
De plus, ces adolescents sont méfiants; ils ne croient pas, ou tout au moins, ont besoin de vérifier sans cesse, notre disponibilité à leur égard. Les demandes de récompenses participent de ce besoin de vérification; c'est une sorte de mise à l'épreuve des adultes. Autre particularité : les plus grandes exigences de récompenses ne se font qu'en public; elles sont rarement demandées ou acceptées dans le cadre du dialogue, où l'échange affectif est ici quasiment explicite. L'adolescent alors se sentirait « acheté» de la même façon que les enfants que l'on comble de cadeaux afin d'éviter en fait de leur donner ce qu'ils demandent réellement, c'est-à-dire l'amour. Le refus de gratificatipn (parfois violent), semble même être une des preuves de l'établissement de liens affectifs avec l'éducateur.
Enfin, l'ambiance du concours, qui favorise la dissipation des défenses excessives habituelles, entraîne par là même une insatisfaction amplifiée par le «miroir » du groupe. Le désir de récompense est alors un prétexte qui cache le besoin de réassurance qu'il serait sans doute nuisible de laisser sans réponse.
C. Problème des thèmes proposés à l'avance :
En dehors des cours de dessin dont nous avons déjà mentionné l'échec, des essais de séances de « dessin libre» ont été faits, et sont demeurés sans résultats. Cette liberté, on le sait, est d'ailleurs fallacieuse, puisque le sujet se trouve placé d'emblée face à son monde intérieqr qu'il est en fait obligé de « projeter ». On voit donc réapparaître toutes les résistances envisagées plus haut, aggravées par les effets de groupe et aboutissant à une inhibition totale. D'autre part, les choses étant ce qu'elles sont, puisque l'adolescent dessine rarement spontanément, il faut, de toutes façons lui demander de dessiner. Le prétexte officiel du thème permet de vaincre cette inhibition de départ, ce qui est indispensable pour la vie du groupe telle qu'eUe se déroule au Foyer: un « abcès de fixation» est ainsi créé, qui permet d'aborder ultérieurement le vrai problème. Les cas d'exception existent bien entendu; certains adolescents doués ou se croyant tels et qui par périodes font montre de productivité spontanée; d'autres qui, handicapés verbalement font de temps à autre un dessin spontané; enfin, certains qui exigent individuellement « de quoi faire un de dessin» « parce qu'ils ont bien le droit de fumer» et qui choisissent ce mode d'entrée en matière pour renouer le dialogue. Ces cas demeurent rares.
Ceci étant posé, deux sortes de thèmes ont été essayés: des thèmes neutres (par exempIe: l'an trois mille; la fête foraine; les ba~ teaux, etc ... ) fournissant un sujet sans résonnance affective ouverte, et des thèmes « chocs». (Ami-ennemi, le cauchemar, le Chezsoi, Bonté-Méchanceté, etc ... ). Les thèmes banaux en principe, laissent évidemment plus de champ à la projection, mais favorisent également la production de matériel banal, stéréotypé; le dessin n'a plus alors sa fonction « cathartique» et l'on n'obtient pas l'explosion affective si utile pour le déroulement de la psychothérapie.
Les thèmes chocs sont en général beaucoup plus « rentables», malgré - ou à cause - de leur effet inducteur. Ils plaisent mieux que les thèmes neutres, et bien choisis, ils correspondent réellement aux thèmes personnels des adolescents; on «n'induit» donc que la permission d'exprimer une réalité existante souvent angoissante et qu'il devient soudain licite d'étaler au grand jour et en commun; l'adolescent se rend compte en outre, qu'il n'est pas seul à avoir quelque chbse â dire sur tel sujet qui le préoccupe et l'acceptation de ses camarades s'en trouve améliorée.
D'autre part, l'activité graphique au foyer est à but ré éducatif et non essentiellement diagnostique; les garçons qui ont envie de faire un dessin libre peuvent toujours le faire seuls et l'apporter ensuite à l'éducateur.
Enfin, quel que soit le thème proposé, et quelle que soit sa prégnance, la marge taissée à l'interprétation est large. Il n'est que de voir la variété des dessins autour d'un" même thème. De plus, tous les garçons ont leurs stéréotypes personnels qui reparaissent quel que soit le thème (nous pensons en particulier, à un garçon, qui, quel que soit le- thème et l'ayant traité par ailleurs, finit toujours par dessiner un portrait d'ivrogne, se contentant de l'adapter vaguement aux caractéristiques du thème du jour. Un autre entoure toujours le thème central de ses dessins de grilles de fer). Ces stéréotypes ont valeur de message et deviennent parfois aussi une sorte de « tic» graphique. Dans la mesure où l'activité graphique au Foyer ne représente ni un « test », ni, a priori, un matériel de recherche scientifique, les inconvénients du thème inducteur paraissent minimes face aux effets de réassurance qu'il provoque.
D. Le matériel graphique :
L'emploi du crayon feutre, après essai de multiples autres instruments, s'est avéré le plus apprécié. Il semble se situer à mi-chemin entre le crayon noir simple ou gras, qui exige un excellent contrôle graphique et des dons de dessinateur, et la gouache (au pinceau ou au doigt) qui n'ont pas eu non plus de succès auprès de nos adolescents. Le crayon feutre permet, en effet, l'élaboration d'un tracé de base puis d'une surface couvrante. Ses couleurs tranchées permettent une décharge affective qui reste cependant subordonnée à l'intention graphique. A l'opposé, le trait noir qui ne permet aucune erreur, est trop intellectualisé et n'a pas ce pouvoir libérateur. Cette utilisation d'un certain type d'instrument a été imposée à la longue, de manière empirique, et sans nous expliquer totalement les raisons de ce choix, nous constatons que le crayon feutre est le seul toléré par les garçons. Faute de ne pouvoir l'entreprendre, nous ne pouvons qu'indiquer l'intérêt d'une étude qui aurait pour but l'examen du geste moteur et des productions graphiques en fonction du type d'instrument utilisé et chez différents types d'adolescents.
* * *
Cet article n'ayant pour but immédiat que d'exposer quelques réflexions sur l'activité graphiql.le elIe-même chez des adolescents inadaptés,.flOUS ne ferons qu'esquisser les grandes lignes du travail en cours et qui concerne l'aspect et le contenu des productions graphiques elles";mêmes.
A vrai dire, à l'heure actuelle, cette étude soulève plus' de questions qu'elle ne résoud de problèmes. .
I. y a-t-il des thèmes ou des styles graphiques vraiment caractéristiques de l'adolescent délinquant ? Ou bien, les dessins obtenus sont-ils ceux que l'on obtiendrait avec tout adolescent encpuragé à dessiner dans la même ambianc.e de tolérance ? Ou bien encore, ces. dessins sont-ils des dessins de névrotiques ?iI faudrait encore pouvoir définir avec précision le diagnostic porté sur chaque cas.
II. Le succès de l'activité graphique dans notre maison est-il dû. aux qualités intrinsèques de cette activité ou bien aux techniques d'approche, de valorisation que nous avons utilisées ? Par exemple, l'échec partiel qu'ont rencontré la poterie et la sculpture en 1958, étaitil dû. à l'inadaptation de ces activité à l'adolescent ou bien à l'insuffisance de nos techniques à l'époque ?
III. Peut-on et de façon précise} suivre l'évolution de l'adolescent à traverses seS dessins ? N'y-a-t-il pas décalage entre la gravité apparente de certaines productions et l'état réel du sUjet? N'y a-t-il pas également décalage temporel entre la persistance de certains thèmes et leur désinvestissement de fait ?
IV. Enfin, dernière remarque : nous n'avons pas trouvé, dans les nombreux dessins obtenus à ce jour, les critères classiques de l'instabilité dans le graphisme : traits anarchiques et violents, dessins « bouillonnants », etc... Seul, l'emploi de couleurs tranchées peut entrer dans cette catégorie et pourrait être interprétée comme signe d'un manque de maturité. Cela reste à prouver.
Ces quelques paragraphes concernant l'emploi du dessin au Foyer de Vitry en tant qu'activité d'expression à but rééducatif n'ont pour intention actuelle que de susciter quelques réflexions et suggestions. Nous sommes conscients de l'imperfection technique de nos constatations, d'une part, en raison du fait que nous n'avons pas voulu interférer avec l'aspect éducatif de la méthode pour en faire une situation de test, d'autre part, en raison des difficultés purement mlltérielles qui président à une recherche d'envergure. Des études ultérieures sont prévues (évolution longitudinale des cas, groupes témoins, films, etc ... ) que nous espérons pouvoir mener à bien.
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