Par Stanislaw Tomkiewicz
En 1990, Tomkiewicz était interviewé par Magali Hélias : il était alors invité à commenter l’expérience de psychothérapie menée par Joe FINDER au CFDJ. Les échanges entre ces deux thérapeutes, qui se sont poursuivis plusieurs années, devaient faire l’objet d’un ouvrage « posthume ». Cet article propose une courte synthèse de ses réflexions d’alors.
Conférence à l'Ecole Normale Supérieure, Tomkiewicz aborde l'activité psychothérapique au CFDJ.
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Joe a touché l'un des problèmes fondamentaux de la relaxation, bien au delà de son application dans notre maison. Tout le monde le sait : quelle que soit la forme de la relaxation, parfois simplement au cours d'un massage fait par un kinésithérapeute, le client ressent, éprouve pas mal de fantasmes dont certains sont franchement sexuels. Or, dans la méthode de Schultz, telle que Joe l'a apprise avec son médecin formateur, tous ces fantasmes sexuels étaient considérés comme nuls et surtout non avenus ; on en parlait même pas. Un des gros mérites de Joe, dès 1953, c'est d'avoir osé parler avec les garçons de l'existence de ces fantasmes sexuels au cours des séances. Il faut quand même dire que depuis, Joe, d'autres chercheurs... ont fait une espèce d'élargissement de la méthode de Schultz et ont eux aussi entrepris de discuter les fantasmes y compris sexuels, que leurs clients pouvaient éprouver. Il faut préciser qu'ils étaient les seuls à le faire, et que leurs élèves le font rarement.
Là ou apparaissait l’originalité de Joe, là où il a transgressé la règle d'or de la psychanalyse c'est lorsqu’il leur a dit : "tu peux tout dire, tout faire", alors que les autres disaient simplement en discutant une séance de relaxation :"tu peux tout dire", sous-entendu ne rien faire.
L’un des principes directeurs : laisser tomber un maximum de barrières . Le fait d’accepter de s’allonger presque à poil sur le lit, peut souvent être une manière symbolique d’accéder aux barrières de l’inconscient. Pour des jeunes qui fonctionnent dans le passage à l’acte, le fait de mettre en acte, d’agir, peut faciliter l’accès à la pensée, à l’imaginaire et aux fantasmes, au rêve éveillé dirigé (RED).
La présence de Joe, si elle est perçue comme bienveillante, constitue une présence mais aussi un œil rassurant, un peu comme un SURMOI qui autorise à penser. Cette présence devient permissive d’un laisser-aller fantasmatique, avec toute la gamme d’expressions émotionnelles. Les remontées de souvenir font aussi partie du panel thérapeutique déclenché par cette technique. Le ressenti corporel favorise la réminiscence de souvenirs traumatiques enfouis au plus profond de l’être meurtri.
Précisons que cette relaxation n'a pas toujours été uniquement une préparation au RED, qui, entre nous, était considéré comme le summum de la thérapie et la méthode la plus pertinente, Souvent dans la pratique quotidienne où tout se déroulait à base de volontariat, sans aucune contrainte, nous demandions aux garçons uniquement ce qu'on appelle la relaxation avec plus ou moins de confiance. Ce fameux degré de confiance : tout était affaire de confiance. Il fallait une confiance absolue, sans autre questionnement, pour que les séances de thérapie soient bien vécues, pendant mais aussi après.
Relaxation + RED reste la plus brillante réussite findérienne. Très souvent, 4 à 6 séances pouvaient être suffisantes. Le rythme en était variable, plutôt hebdomadaire mais certains gamins avaient une séance tous les mois, ou toutes les six semaines. Quant au rêve éveillé lui même, Joe Finder ne demandait pas seulement aux garçons "Racontes moi ce que tu vois" , il était plus proche de Mr Desoilles et leur proposait souvent des situations plus ou moins symboliques comme par exemple "tu es sur une plage, dans l'eau, tu grimpes une montagne, tu es dans une caverne". Après de longues années d’expérience , ce jeu de symboles a été partiellement abandonné, quoique jamais tout à fait. Il est vrai que certains garçons, même avec les images que Joe leur proposait, ne voyaient pas grande chose, ne savaient pas quoi dire, d'où la nécessité de la relaxation préalable. Le terme de "thérapie corporelle" n'est entré dans notre vocabulaire que depuis 1 an à peine. Il a été inventé par un de nos amis psy, qui nous avait expertisés après le drame 2 que nous avons subi en 89. Dans notre propre jargon maison, ce genre de séances ne s'appelait jamais thérapie corporelle, mais tout bêtement la psychothérapie.
Jamais aucun adolescent, qui a pu en bénéficier n'a été atteint dans sa dignité, dans son honneur, dans ses sentiments propres. Il faut le dire vraiment, le crier très fort, en 30 ans de pratique, 150 à 200 garçons en ont bénéficié, sans compter les jeunes filles, nous avons eu deux coups durs, ils venaient de la connivence entre un garçon qui n'a pas été “thérapeutisé” jusqu'au bout et un médecin des prisons qui était malveillant pour nous. A noter que ce garçon, de longues années après est revenu voir Joe avec des excuses en disant : "qu'est -ce que je me suis fait avoir, si j'avais su que ça puisse te porter atteinte, j'aurais fermé ma gueule". Nous avons du interrompre ces thérapies corporelles une première fois. Par la suite, après mai 68, la France devenait un peu plus tolérante et plus curieuse des thérapeutiques nouvelles et intéressantes : ces mêmes personnes qui nous avaient interdit ces thérapies ont levé l'interdiction, et nous recommencions ces thérapeutiques en1972.
Depuis que nous avons arrêté nos thérapies corporelles, notre efficience thérapeutique a pris un sacré coup dans l’aile. Joe a toujours un bon contact avec les enfants comme je connais aucun adulte capable de l’établir. Nous nous débattons pour remplacer ce qui manque par d’autres choses. N‘empêche, nous constatons maintenant des phénomènes dans notre foyer, comme quelques fugues, etc, quasiment inexistants avant. Les jeunes nous reprochent notre insuffisance thérapeutique. Ce qui est remarquable c’est qu’à l’époque où la thérapie allongée était permise, même les adolescents qui refusaient cette thérapie, acceptaient des entretiens autour de la psychothérapie. cela avait incontestablement une efficacité psychothérapeutique que nous avons définie en disant : “s’il n’y a pas de vodka, parlons vodka”.
Or, depuis que nous n’avons rien de valable à leur proposer. C’est sûr, nous nous distinguons moins des autres maisons comme ce fût le cas à la période où nous avions notre thérapie.
Par ailleurs, cette psychothérapie nous permettait de réveiller de manière merveilleuse la créativité ce qui faisait plaisir aux gamins, à l’humanité entière. Ca favorisait leur évolution plus solide. Joe suscitait en eux l’envie d’être créatifs en leur faisant comprendre, c’était vrai, que sans thérapie, ils n’arrivaient pas à chanter aussi juste, à jouer de la musique aussi rapidement, à dessiner aussi bien. Il y avait tout un marchandage subtil pour qu’à la fois la thérapie serve la créativité, et la créativité serve la thérapie afin d’attirer les gosses dans cette relation.
Depuis plus de 30 ans, alors que nous sommes en général plutôt d’accord sur tout, même si nous donnons toujours l’impression de nous engueuler comme un vieux couple, la seule chose sur laquelle nous n’étions fondamentalement pas du même avis, c’était sur la transmissibilité. J’ai toujours pensé que ce n’est pas transmissible, alors que Joe lui, comme il le disait, espérait comme on court après une étoile dont on est amoureux - que ça sera un jour transmissible. Je n’y ai jamais cru, je vous le dis franchement.
Il est difficile d’analyser la non-transmissibilité du système Findérien et j’ai souvent dans ma tête comparé Joe à Freud. Pourquoi Freud a-t-il réussi à transmettre sa méthode ? D’abord, je pense qu’il a permis aux gens qui l’ont suivi de gagner beaucoup d’argent alors que Joe, par contre, ne leur proposait rien du tout. Ca c’est déjà une grosse différence. Freud était un homme de magouille, d’organisation alors que Joe est un solitaire un peu complexé, donc incapable de transmettre. Je pense que Freud tout en excluant de temps en temps ceux qui lui paraissaient infidèles acceptait finalement toutes sortes d’avachissement de sa méthodologie qui sont devenues extraordinaires depuis sa mort, alors que Joe en vrai puriste en vrai mariste, est prêt à brûler les gens qui changent une virgule, à savoir, qui ne font pas les choses à la perfection uniquement pour le gamins. Mais ces explications là sont secondaires, 3 autres raisons plus importantes rendent la chose non transmissible :
- la 1ère, c’est que pour transmettre quelque chose de contraire à la loi du pays, à la morale ordinaire, il faut être fou. Or, Joe n’est pas fou et ne veut pas finir à l’hôpital psychiatrique ou en prison comme Reich.... Joe et moi nous sommes toujours restés fidèles à ce fameux professeur en psychiatrie qui m’a fait connaître Joe et qui disait : “Faites ce que vous voulez, mais n’en parlez pas”. Il est donc difficile de transmettre quelque chose de clandestin.
- La 2ème raison, plus intime, est que très rares sont des gens capables de supporter ce que Joe peut supporter au moment des séances. Joe, par exemple, pouvait rester avec un jeune 2, 3, 4, 5 heures ou plus, ce qui est difficilement transmissible aux braves gens syndiqués, assurés sociaux que nous sommes tous.
- La dernière raison de la non transmissibilité, - c’est désagréable à dire devant Joe, mais il faut bien le dire quand même - c’est que Joe vit tout seul, il est disponible pour les gamins 24h sur 24. Il accepte des fonctions qu’aucun éducateur, aucun psy, aucun curé n’accepte envers les jeunes. Même les plus dévoués d’entre nous ne restent quelques heures de plus, mais il n’est pas du tout évident que ces gamins tolèrent ce viol de leur intimité, une tentative d’initiation, cette mise à nu psychique et même physique devant un adulte, devant un bureaucrate de l’éducation, qui, en plein milieu d’une séance dirait : « il est sept heures moins le quart, moi je dois partir ». Pour transmettre la méthode de Joe, il faut trouver des personnalités comme Joe. Or, statistiquement, ce type de personne ne dépasse guère 1 pour 1 million, nettement pas assez pour faire école.
Ma réponse n’est pas encore définitive parce que je n’ai jamais compris comment Freud a pu transmettre ce qu’il a fait. Il devait avoir une rouerie. Il a réussi, bien que c’était aussi très scandaleux psychologiquement ce qu’il faisait à l’époque : parler de la sexualité avec un petit enfant était aussi choquant pour la bonne société bourgeoise que de supporter un adolescent délinquant qui se masturbe en 1990 . Freud a eu le courage de passer outre et a aussitôt publié. Or, Joe et moi n’avons jamais publié le détail des séances.
Comment voulez-vous qu’on transmette tout ça ? Si nous parlons ici, c’est que nous pensons quand même pouvoir laisser un testament.
Il faut néanmoins distinguer la transmissibilité de certaines techniques et de l’attitude générale de Joe. Certaines choses sont transmissibles relativement facilement : l’humanisme que nous avons, une attitude chouette envers les jeunes , le respect des gamins, et certaines techniques comme le photodrame, le vidéodrame, l’usage de la musique et de la poésie, le sociodrame, etc.. Mais tous ceux qui ont voulu singer Joe se sont cassés la gueule ils n’ont jamais été foutus de faire par exemple un photodrame correct (sauf une personne) et n’ont pas voulu suivre les règles qu’on s’était imposées : les gens ont voulu faire des photodrames sans les subir, cela prouve que c’est très difficile à transmettre. Rappelons qu’une des forces de la psychanalyse freudienne, c’est que Freud obligeait tous ceux qui voulaient le singer, à se soumettre d’abord à sa thérapeutique.
De plus en plus dans une société où la sexualité « est à toutes les sauces » avec des déviances tous azimuts, je suis extrêmement sceptique sur l’utilisation à bon escient de cette méthode à commencer par les thérapeutes eux-même « déviants » qui pourraient s’en servir !
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(1) pédiatre, pédopsychiatre, Directeur de recherche INSERM (U 69) sur la santé mentale et la déviance de l'enfant et de l'adolescent. Décédé en 2003.
(2) Le second coup dur que nous ayons vécu, a concerné un enfant placé sous protection juridique. Celui-ci avait peut-être bénéficié un peu trop précocement de la thérapie. Il avait avec ses parents des relations d'une telle dépendance que, compte tenu de son âge n'avons pas encore été capables de gérer valablement une semblable situation. A un certain moment, cette mère et son concubin ont été animés de mauvais sentiments à notre égard Ils ont réussi à tirer les vers du nez de ce garçon, qui racontait, avec des détails exagérés ce qui se passait dans la thérapie.
ARTICLES / PRESSE
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